Un samedi sur deux
Juste pour sourire, et parce que demain c'est samedi, un petit exercice en écriture à partir d'une toile ...
" Un samedi sur deux, je m’offre, comme un luxe discret et délicat, l’égoïste plaisir de perdre trois heures de ce temps précieux qui ne se rattrape pas … Les moqueries de mon homme n’y changent rien, au contraire, j’ai la délicieuse sensation de remplir mon temps, de le nourrir. Dès l’instant où j’ai poussé la porte vitrée, c’est une suite de petits bonheurs et je glisse avec délectation dans ce monde à part, chez le coiffeur … c’est un rite, une cérémonie, mieux un cérémonial ! J’ai mes petites habitudes, on m’accueille comme quelqu’un d’important mais je ne veux surtout pas que l’on précipite les choses. Non. Moi je veux attendre, au milieu des autres ménagères, je veux attendre, pour observer à la dérobée les autres clients, et avec un grand sourire répondre quand on me demande « je suis après madame, oui … et cette fois nous ferons la couleur n’est ce pas … » Oui, je veux profiter de tout. Le bruit des sèche-cheveux, les conversations, les rires des apprenties quand elles passent au bac, les sourires entendus de la coiffeuse qui reçoit les confidences de Mme Martha, les sourcils froncés de la patronne devant les yeux doux de sa petite protégée pour Mr Charles … Je veux savourer le moindre détail ! Le souffle des pages trop vite tournées, le crissement du peignoir rose que l’on me noue prestement dans le dos, et ce frisson qui court sur mes épaules au moment où la serviette vient s’y poser. Je suis prête, protégée, enveloppée, c’est mon tour … C’est mon tour ! Le monde peut bien continuer sa course folle, je viens d’entrer dans une autre dimension, le temps se compte en mèches, pointes ou racines, le temps se colore et se papote et se magazine, le temps se rince et se shampooine ! Rien n’est plus savoureux, rien d’autre n’existe … pour quelques heures, la vie, la vraie, est ici, dans les soins d’une mise en plis, dans les pages d’un magazine, dans la buée rosée aux vitres, et dans les cheveux au sol qui gisent … "
Texte déposé chez Lali pour la rubrique En Vos Mots il y a un an , déjà ! :)
Toile de Dianne Massey Dunbar